FUSILLES DU BOIS DE LA REULLE 28 JUIN 2014
Madame, mademoiselle, monsieur,
Le drame du Bois de la Reulle que nous commémorons ce jour pour son soixante- dixième anniversaire commence en fait en début de l’année 1944.
C’est en effet le treize janvier qu’est arrêté Jean Louis Belvezet. Originaire de Limogne, ce lotois bon teint assurait à la Direction Générale des Etudes et des Recherches du haut commandement des Services Spéciaux, (la DGER) les liaisons du courrier et les communications de tous les renseignements militaires. Torturé, il passa quatre mois dans une chambre de l’Hôpital Purpan. A sa sortie, ses tortionnaires le glissèrent dans un wagon de la déportation. Bloqué en rase campagne, le train le ramena au point de départ : la sinistre prison Saint Michel.
Au cours du mois suivant, le seizième jour, il fut rejoint par Jean Pagès. Cet enfant de Labastide-du-Salat en Ariège, en tant que policier aurait pu suivre le chemin de la répression que lui imposaient ses supérieurs. Ses valeurs républicaines et patriotiques le guideront vers celui de la Résistance….jusqu’à une souricière montée par la Gestapo, Place Dupuy où il logeait.
Dans la matinée du 4 avril, Raoul Sarda attendait son train pour Toulouse en gare de Auch. Derrière son dos, la police nazie était à l’affût, comme elle l’était depuis plusieurs mois vis-à-vis de son oncle, « Rosette » car c’était ainsi que se nommait clandestinement Albert Sarda de Caumont un des grands dirigeants de la Résistance toulousaine.
Le 11 mai, il y a du monde Place Esquirol à Toulouse. Le moment est propice pour que le colonel héraultais natif de Marseillan Joseph Guillaut et le lieutenant de Mont Louis Noël Prunéta, tous deux dirigeants de l’ORA, l’Organisation de la Résistance de l’Armée de la région militaire R3, réunissent en décalé les responsables du Tarn, des Pyrénées Orientales et de l’Aude. Tapis dans la foule, les agents de l’ennemi attendent le bon moment pour réussir leur coup de filet.
Quelques jours plus tard, le 26, Claude Charvet et Georges Pujol du Groupe d’Action R4 de Saint Loup Cammas se préparent à aborder leur entrée dans Castelmaurou. En voiture, ils arrivent, fatigués, de Roqueserières où ils viennent de cacher un dernier dépôt de carburant après une journée harassante. La Feld-Gendarmerie leur intime l’ordre de descendre du véhicule.
Guidée par les indications de Georges Pujol retourné par la Géheime Stat Polizeï, la police nazie s’en donne à cœur joie : Marcel Mercié, « Petit Marcel » du Groupe Morhange, Robert Toubiana sont arrêtés à Toulouse, Jean Marie Ducasse dans son garage de Lannemezan. Le 5 juin, la liste macabre s’achèvera sur l’identité de Roger Cazenave arrêté dans sa bonne ville de Lourdes.
Le 27 septembre, les corps de ces patriotes, grossièrement ensevelis par la terre de cette clairière que le peloton assassin du Bataillon de réserve de la division Das Reich leur avait fait creuser avant que ne soit ordonné le feu par le sous-lieutenant SS Anton Philipp, seront déposés dans des cercueils de bois blanc, identifiés et récupérés par leurs proches pour dix d’entre eux. A cet instant, le seul évadé du groupe martyr, Jaïme Soldevilla, en attente du retour de son épouse Générosa des camps de concentration, pansait ses blessures.
Cinq de leurs compagnons ne connaitront pas cette ultime marque d’humanité. Catalogués anonymes, ils rejoindront un carré de la terre du cimetière toulousain de Lafourguette….
Jusqu’en avril 1990, date à laquelle le maire de Castelmaurou, Lucien-Paul Pouget prit l’heureuse initiative de les récupérer en les accueillants dans un caveau dédié du cimetière local.
Cette décision se révéla judicieuse lorsqu’ un Groupe de recherches se mit en quêtes de reconstituer dans son déroulement cette journée macabre afin que soit respecté le devoir de mémoire et de rendre leur identité, leur honneur et à leurs familles les restes de ces résistants.
L’entreprise ne manquait pas de panache même si parfois, d’autres qualificatifs plus ou moins bon-enfant l’accompagnaient……
En tous cas, elle eut la chance de rencontrer un couple dont la dame avait pris le relais de sa maman en recherche de son époux, major-capitaine-aviateur belge, depuis son propre retour des camps de Ravensbrück et de Bergen-Belsen en 1945.
Précédemment chef de la 5° Escadrille qui depuis quelques mois porte fièrement son nom, Résistant de la première heure puisque dès l’invasion nazie de la Belgique Charles de Hepcée avait pris la responsabilité d’un home d’enfants dont la raison inavouée était de cacher des enfants juifs, l’homme avait créé deux réseaux d’évasions et de renseignements qui passaient par l’Iraty en pays basque et par les « Chemins de la liberté » de l’Ariège afin de rejoindre Londres par l’Espagne et le Portugal.
La rencontre de Rose, Michel son inséparable mari et du Groupe de recherches fut accompagnée par la décision du conseil municipal de Castelmaurou d’autoriser madame le maire Magali Mirtain-Schardt à donner son assentiment d’ouvrir le caveau en novembre 2011. Le but était de faciliter les prélèvements osseux afin que l’Institut de Médecine Légale de la Faculté de médecine de Strasbourg puisse proposer à son laboratoire d’analyse et à celui d’Epinal de concrétiser la démarche engagée par Rose et Michel de comparer l’ADN de la dame avec ceux jugés exploitables de la sépulture des inconnus. L’opération fut menée de mains de maitres par le docteur en anthropologie Tania Delabarde et l’équipe de Christine Keyser dirigées par le Professeur Bertrand Ludes.
Le 30 juin 2012, ici même, fut annoncée l’identité retrouvée de Charles dit « Charley » de Hepcée dont les obsèques furent célébrées le 24 juillet suivant dans son village Ciney-Braibant dans la Province de Namur et l’inhumation organisée dans la propriété du château d’Halloy. Depuis, Charley repose pour l’éternité auprès de son épouse qui l’a enfin retrouvé, Micheline de Sélys Longchamps.
Malheureusement, cette extraordinaire nouvelle souffrira à jamais du décès de Michel Fischer-Touret, un 27 juin lui aussi, comme ce beau-père qu’il a tant connu alors qu’il aurait tant aimé le rencontrer….
Poussé par le courage et l’abnégation de ce couple, le Groupe s’est remis à la tache. La démarche prit un nouvel essor en fin d’année en la personne de Jean-Pierre Joyeux qui, depuis Poitiers, apprit par téléphone grâce à Madame Monique Delattre-Attia, membre de notre Groupe et également en recherche de son papa qu’elle pense dans la terre de la prison Saint-Michel et qui mérite que les pouvoirs publics l’aident dans sa quête, que son papa, Marcel, pourrait être l’un des quatre inconnus fusillés dans le Bois de la Reulle.
Franchement, L’homme ne savait que penser….
Depuis ses trois ans, sa famille lui répétait que son résistant de père, Marcel Joyeux, personnage intrépide et courageux, engagé dans différents groupes tels que celui de Marcel Taillandier_ Morhange_ ou de Saint-Loup/Cammas, désigné comme étant l’un des adjoints de Serge Ravanel, était mort en déportation dans un endroit ignoré de tous….en Allemagne.
L’homme ne savait que penser mais, mis peu à peu en confiance, il participa aux recherches de documents et à la démarche que connaissaient si bien Rose et Michel.
Le 5 novembre 2013, comme ce fut le cas pour Charley, délicatement transporté dans le fourgon des Pompes Funèbres Saint Jeannaises de Monique et Sylvio Giménez, Marcel Joyeux est revenu près des siens, à Jaunay-clan, petite communauté d’âmes située juste après le Futuroscope de Poitiers….
Pour le Groupe, il n’était pas question de s’arrêter en si bon chemin.
Avec Pierre Cartelet, une autre aventure s’ouvrait depuis les Ardennes. Natif du petit village de Taillette par Rocroi, l’homme exerçait à proximité, à Charleville-Mézières, le métier d’instituteur. Mobilisé dès la déclaration de guerre et fait rapidement prisonnier, il s’évada alors que l’occupant le destinait au Stalag.
Après un bref séjour en Savoie où il intégra « Les Compagnons de France » de sensibilité maréchaliste afin de se faire une virginité politique, il posa ses maigres affaires de résistant sans cesse en mouvement en organisant le Réseau Alliance de Marie-Madeleine Fourcade dans les Pyrénées Orientales. A Thuir, au Vernet, à Prades et à Perpignan où il manqua de se faire arrêter en février 1944 comme son ami Charles Blanc que les nazis exécutèrent le 7 avril suivant au Fort de Monluc près de Lyon alors que son épouse, Laurence, sera amenée à la prison de Fresnes avant d’être transférée dans les camps de concentration de Ravensbrück et de Mauthausen.
Grillé définitivement en Catalogne Nord, il se replia sur Toulouse où la Gestapo l’arrêta un certain 11 mai 1944 Place Esquirol en même-temps que le colonel Guillaut et le lieutenant Prunéta identifiés dès septembre 1944 dans la clairière du Bois de la Reulle.
Comme pour Charley de Hepcée et comme pour Marcel Joyeux, le travail du Groupe de recherches fut compliqué par un nombre insensé d’endroits d’arrestations et de dates d’exécution. Il fut même déclaré sur un même document : « Fusillé à Toulouse, mort à Perpignan » !
Depuis plusieurs mois, le travail sur dossiers a laissé place à celui qu’effectue le domaine des scientifiques. Une Requête en comparaison d’ADN rédigée par un représentant de la famille et acceptée par le Tribunal de Grande Instance de Toulouse attend avec une impatience partagée un résultat que tout le monde souhaite à la hauteur des recherches précédentes.
Difficile à vivre, cette période a refusé de se replier sur elle-même puisque la démarche se poursuit vis-à-vis d’un des compagnons de Marcel Joyeux avec qui il fut arrêté le 24 mars 1944 rue des Chalets à Toulouse. Enfin, une cinquième piste est empruntée en partant des descriptions vestimentaires que les autorités municipales de 1944 avaient eu la bonne idée de coucher sur les pages des actes d’état civil scrupuleusement conservés depuis en mairie de Castelmaurou.
Avant de nous quitter, tout en prenant soin de remercier pour leur aide les municipalités de Gragnague et de Castelmaurou, le Conseil Général, L’ONAC et le Musée de la Résistance et de la Déportation de la Haute-Garonne, La section de Castelmaurou/Toulouse Nord du Souvenir Français chère à Dédée et Loulou Gibert, les Services Historiques de la Défense de Caen, de Vincennes et de Le Blanc dans l’Indre, le personnel hautement qualifié et disponible de l’Institut Médicolégal de la Faculté de Médecine de Strasbourg, le maréchal des logis-chef Christian Promeyrat membre de la Brigade de recherches de Toulouse et Monsieur Jean Michel Peltier, Procureur de la République auprès du Tribunal de Grande Instance de Toulouse, il nous vient ces quelques mots posés sur la feuille par la plume de Louis Aragon, en hommage au devoir de mémoire :
« Et s’il était à refaire
Je referais ce chemin
La voix qui monte des fers
Parle aux hommes de demain »
Comment ne pas rappeler, alors que celles et ceux qui ont vécu debout à cette époque n’ont pas voulu seulement chasser l’occupant hors des frontières,qu’avec la rédaction du Programme du Conseil National de la Résistance impulsée par Jean Moulin et baptisée à juste titre « Les Jours heureux », ils ont creusé les fondations de ce qui s’est appliqué dès la Libération d’un pays ravagé par la guerre avec la conception d’une nouvelle société politique, économique, sociale, démocratique basée sur une vraie solidarité s’appuyant sur l’appartenance à la nation des grands moyens de production et des banques afin d’offrir la création, notamment, des services publics et d’une Sécurité Sociale garante de la solidarité inter générationnelle.
A l’heure où beaucoup d’entre nous sont en recherche de repères dans cette période délicate, il n’est pas inutile de se remémorer la totale dimension de l’engagement jusqu’au péril de leur vie de celles et ceux à qui nous devons notre vie de femmes et d’hommes libres.
Le Groupe de recherches
Des Fusillés du Bois de la Reulle
Gragnague/Castelmaurou